Cher
vous et affectueusement à toi
Il était temps de doucement
dériver vers le sud, le froid approchait,
il neigeait au Tibet, et à Lyjiang les
habitants un peu étonnés par ces
premiers frimas ressortaient les braseros et
les vêtements chauds.
La pluie me suivait et les
chinois me semblaient de plus en plus maussades.
Dali, et les effluves d une
ville ancienne mais bafouée par les destructions
et une modernité sans grâce, n'a
su me retenir que par qqs autres senteurs
oubliées depuis ces étapes de
la route d orient de la jeunesse. Pales souvenirs
de la magie d'Herat et de Kandahar...
À Kumming ce furent
les plaisirs des rencontres d'occidentaux aux passés
tumultueux et ceux aussi aux rêves
en prise ou échoués sur les nécessites
sociales le Camellia Hôtel et son
petit côté Sultan Ahmed d'Istamboul,
souvenir !!
Un froid glaaaaaacial me fit
apprécier avec beaucoup de joie la présence
dans le temple d'or, après les rituels,
taoïstes cette fois-ci, d une troupe
de musiciens, danseurs et choristes interprétant
des chants avec un entrain chaleureux et une
joie communicative sans autre public que
moi, me confondant avec le pilier sur lequel
je m'appuyais.
Un petit voyage a Jianshui
pour une longue après midi dans le temple
confucéen. Admirable ensemble très
construit, symétrie et perspective a
la fois imposante et sans démesure. Succession
de cours, de porches, pierres dressées
remarquables, bassins d'un ovale surprenant,
combinaison originale d éléments
classiques et bien connus. Les sages
sont représentés comme des figures
plus ou moins bienveillantes, et pourtant hiératiques:
légers sourires au bord des lèvres
et regards malicieux. Rien à voir avec
les divinités terrifiantes du panthéon
tibétain. Temples déserts et vaguement
restaurée; une vraie merveille faite
avec amour et spiritualite et aujourdhui
délaissée et passée de
mode...
Un petit tour d avion
pour arriver a Jinghong au plus sud de la chine,
sous une grosse pluie tropicale et une chaleur
épaisse de moiteur. L'attente d
un cargo me permit d aller visiter trois jours,
le centre de recherche botanique et ses collections
de bambous, de ficus, d orchidée...
Jardins de démonstration,
genre Kew Garden, et surtout de larges portions
de forêt primaire protégée.
Une sente balisée permets aux étudiants
de pénétrer dans ce bouillonnement
végétal pas vraiment hospitalier
pour un occidental bien policé, mais
fascinant par ses arbres extraordinaires, et
cette puissance de vie de la flore.
Une des curiosité botanique
consiste en un Ficus constrictor enroulé
autour de son arbre-support d'environ
quatre mètres de diamètres- dont
il ne reste que l'absence ; un accès
donc est possible à l'intérieur,
et l'on se retrouve dans une colonne de lumière
de plusieurs dizaines de mètres de haut.
Impression étonnante,
une image en négatif et en trois dimensions,
légère angoisse car il est évident
que nous sommes sur les lieux d'un crime végétal,
mais aussi que ne sommes pas seuls dans ce tunnel
vertical, et le contre-jour empêche de
voir les quelques bestiaux exotiques et malicieux
qui semblent là, à guetter le
pèlerin
Cet insecte bien agité
dans ce monde contemplatif.
Enfin, embarquement sur un cargo
chinois chargé de poires énormes
dont le parfum va m'accompagner vers la Thaïlande.
Il s'agit de descendre le Mékong
qui fait la frontière entre la chine
au nord, la Birmanie à l'ouest, le Laos
à l'est et la Thaïlande au sud.
Vaste noman's land, plus connu
sous le nom de "Triangle d'Or ".
Le Mékong, large fleuve,
jaune de ses eaux boueuses, tumultueux, tourbillons
et écumes, gigantesque coulée
dorée, étincelante, et tellement
silencieuse.
Épaisseur et densité de
toutes ses particules, érodées
des montagnes par sa puissance, puis diluées
et créant une nouvelle cohérence:
ni tout à fait aquatique, plus jamais
minérale et solide.
Flotter sur cet inéluctable
magma, s y diriger entre ciel et inconsistance,
un moment, une lueur dorée avant la plongée
vers les abysses sans lumière.
Jeu de bruit et de fureur,
machines hurlantes, sifflements des turbos,
vibrations chaotiques,, efforts,, sueurs,, poussières,,
fumées. Les tôles vibrent, s'entrechoquent
sous l'effort énorme fourni pour compenser
la puissance du fleuve.
Faut-il opposer ainsi
à la fluidité de cette lave, la
dérisoire rigidité de la ferraille.
Et au silence de l'Innommable Puissance, les
éructations des moteurs.
Le jeu humain??
Deux hommes a la proue, perchent
les flots sur tribord et sur bâbord
avec une régularité ancestrale
pour déceler les pièges des bancs
de limons, seuls a l'écoute de l'énigme.
Le fleuve est bas et les bancs de sable dangereux.
Bientôt, et jusqu'à la saison des
pluies, la navigation sera interrompue.
Le soir tombe, le bateau se
met travers au courant, accélère
pour s'échouer, dans un dernier hurlement
de machine, sur la rive.
Les moteurs arrêtés,
Enfin le souffle profond
du fleuve....
Les laisses des différentes
crues creusent des longues marches d'escalierle
long des rives, invites illusoires à
pénétrer dans une jungle fermée
de bambous et d'arbres surchargés de
plantes épiphytes.
Plages aux sables beiges, vierges
de toutes vies, bois flottés dantesques
semi-enterrés, séparés
par des moraines de galets et des rochers noirs
Polis et lustres des caresses millénaires.
Friches, succédants
aux brûlis, forêts détruites
et abandonnées; seuls dans quelques ravines
inaccessibles au feu, subsiste des lambeaux
de forêts primaires.
Les coupes marquent la végétation
par plaques, plaies d'abord à vif puis
cicatrisées par les arbustes de reconquête,
qui essaient de s'établir sur ces terres
lessivées
Ainsi de cet étonnant
patchwork d'incendies volontaires, on peut lire
l'acharnement fourni pour saccager ce trésor
de biodiversité.
Quelques grands arbres, oubliés,
ou non-commercialisables, silhouettes solitaires,
désarticulées et fantomatiques se
découpent sur les crêtes ravagées
par les coupes, et témoignent encore
de cette richesse pillée systématiquement.
Des restes de cabanes en paille.
Pas de vie, pas d oiseaux.
Un silence opaque et lourd.
Le souffle coupé de
la forêt, silence accusateur ??
Et ce paysage dévasté,
je le constaterai pendant les trois jours de
navigation le long du Mékong, dans cette
zone quasiment inhabitée.
Au matin le pont est mouillé,
le ciel très bas. L'humidité s'exhale
en vapeurs épaisses.
Une fumée lointaine
un peu plus bleutée signale une présence
humaine.
Passage à travers les
montagnes birmanes et laotiennes, les tourbillons
et rapides mettent le bateau en péril,
et le font avancer vaille que vaille,
souvent en crabe, ou en surf, par des voies
connues seulement par les pilotes.
Attention impressionnante des
hommes a la barre.
Un troupeau d'éléphants
nous accompagnera au loin sur la rive.
Arrivée en Thaïlande
et après un petit transfert en bus, traversée
du fleuve vers le Laos. Le lendemain autre bateau
pour rejoindre Luang Prabang. Contrairement
au cargo chinois où j'étais le
seul blanc, je me retrouve dans un sampang de
touristes, 80 personnes, serrées comme
des sardines. Si au début chacun se regarde
en chien de faïence, sur un quant à
soi bien civilisé, après quelques heures
de cette promiscuité les langues se délient.
L'arrivé a Pak Beng, à mi-chemin
pour y passer la nuit se fait dans la cohue.
Village hors la loi, atmosphère
western.
Prosternation devant la déesse
noire, oubliée depuis 30 ans.
Image terrifiante de ce bateau
de blancs, appareil photos dégainés,
et sur la rive cette bande d'enfants si sérieux,
aux yeux effarés par ce déchaînement
de flash et d'exclamations. Chacun restant
dans son monde,
Quel est lautre côté
du miroir?
Arrivée enfin a Luang
Prabang, après cette longue dérive
sur le fleuve.. . C'est la soirée,
la ville est belle, paisible. Pas trop chaud,
pas trop de monde. Délice du repos.