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Tibet
 
 
 
 
 
 
 Salut et affectueusement toi,

Voilà qqs nouvelles de celui qui parti, pense néanmoins souvent à vous... Parti de Shanghai, vers Lijyang dans le nord du Yunnan, j'y suis resté une bonne semaine. C'était la semaine de congé obligatoire des chinois, fête nationale oblige. Une foule énorme dans cette ville ancienne, patrimoine Unesco, devenue, tourisme de masse oblige un vrai `chinese land`, multiples boutiques, attrape touriste, sorte de Carcassonne chinoise ou place du tertre. Mais comme partout le tourisme est grégaire et une bonne partie de cette ville en est préservée.

Architecture superbe et délicieuse, vieilles maisons en bois, avec cour intérieure, rues bordées de canaux, petits ponts et vieilles femmes naxi, en bleu et blanc, ressemblants à des poupées de porcelaine. Qqs belles balades, la grande boucle du Yang Tse Kiang, les montagnes enneigées, un temple bouddhiste isole, psalmodies et paix.

Malgré un temps incertain, départ vers la province autonome tibétaine de Dequin. Deux jours de bus à travers des paysages à couper le souffle, 2 cols à 4000m, l'atmosphère change du tout au tout : le Tibet, les premiers stupas, ( à gauche, capitaine, toujours à gauche...) belles maisons massives, toits en bardeaux, fenêtres ouvragées et peintes, bannières bouddhistes, cultures en terrasses, labours avec araire et boeufs, les yacks, pas si gros que ça, et les habitants, costumes colorés, autres visages, sourires et douceurs.

Deux jours d'acclimatation, altitude 3 500, dans un petit hôtel face aux Meili ranges, sommet Kawa Karpo  6 740m. Lever de soleil sur cette chaîne, éblouissant.

Nous en sommes séparés par les gorges profondes du Mékong, à-pic vertigineux creusé par le fleuve, qui se faufile 1500m plus bas ; nous sommes à vol d'oiseaux à quelques Km seulement de ce sommet : un des lieu de pèlerinage les plus importants dans le bouddhisme tibétain.

En effet, le matin, le sommet est exposé au premier rayon du soleil et celui-ci apparaît alors telle une goutte d'or dans la pénombre de l'aube : extraordinaire apparition d'un stupa céleste, support aux prières et pratiques dévotes.

Les lamas, entourés de fidèles, brûlent des branches de conifères, de l'encens et des feuilles de papier de soie supportant les écris sacrés.

Dévotions paisibles et recueillies, au son des psalmodies, et des claquements des tissus multicolores accrochés sur des piquets, dans un froid glacial, face à ce sommet recouvert de cette couleur mordorée qui s'étend doucement, jusqu'à devenir une pyramide énorme, entièrement lumineuse, éblouissante, si majestueuse, si proche.

Nous sommes là au départ d'un pèlerinage annuel qui s'effectue par une longue boucle, à pied, autour de la montagne. Trois semaines sont nécessaires pour cela, mais pour moi, la saison étant trop avancée, je décide d'en effectuer juste une partie. Il existe une vallée sacrée, accessible en deux jours de marche, qui mène au pied du mont.

Après avoir réuni un couple de Honeymooner chinois, charmants, et un autre couple d`israélien, nous louons un mini van qui dévalera la pente pour traverser le Mékong et nous laissera au départ de la piste. Longue ascension jusqu'à 4000m, à travers des forêts d'immenses cédres déodars et descente dans une vallée, celle où est né l'actuel Dalï Lama.

Arrivée le soir, dans une ferme auberge tibétaine, dans son jus: grande pièce de réunion, deux feux, occupés à cuire l'une, la grosse gamelle de riz et l'autre, la marmite des cochons, ont noirci les parois devenues noires et luisantes.Les chromos de Mao chevauchant les steppes tibétaines, côtoient les gravures du panthéon bouddhiste, et l autel de méditation est un joyeux capharnaüm de diverses divinités tutélaires.

Tout le monde est mélangé, la famille, les enfants, la maîtresse d'école, les voisins et nous, ambiance chaleureuse et la présence des honeymooner chinois me permet de parler par traducteurs interposés et de mieux comprendre ce qui se passe.

Le lendemain, départ de mes compagnons vers un glacier, tandis que je me dirige, seul, vers le lieu de pèlerinage de cette vallée, au pied du Kawa-Karpo, montagne Sainte du Bouddhisme. Descente vers le village du bas, et vers l entrée assez étroite de la vallée, gardée par un temple et un chorten. Le torrent coule doucement et le chemin enpierré s'enfonce dans la forêt.

C est une forêt primaire, jamais exploitée, Prunus, chênes persistants, épicéa d'orient, déodars, sorbiers ; les arbres sont âgés, de formes naturelles, parfois énormes, souvent encombrés de lichens, de mousses, sous-bois de rhododendron, cotonéaster, clématites, spirées, anémones... arbres couchés, enchevêtrés, et le murmure du torrent qui m accompagne.

Car en fait je suis seul sur le chemin, et à part un couple de pèlerin tibétain et trois coréens, je ne rencontre personne pendant la montée, ponctuée de petits autels, cairns, fontaines et ponts, ornés des banderoles de prières jaunes, vertes, bleues, blanches, et rouges. Petit a petit la foret s`éclaircit et au détour d un tournant, le fond de la vallée se présente à moi: extraordinaire cirque de falaises, pierres noires et glaciers gris sale en bas et blanc sur les sommets, très hauts, très très hauts.

Je suis à 4000m, et le sommet semble perdu dans les brumes, à 6 700m. Je suis arrivé sur une ancienne moraine et le chemin se fait plus difficile, rocheux et abrupt. Sur un méplat, j'aperçois une fumée, et peu après je rejoins une cabane en bâche plastique.

Une femme dort là et au son de mes pas se dresse. Tout en noir, jeune, elle paraît fantomatique. Que fait-elle là ? Accueillir les quelques pèlerins ?? Quelle tristesse et quel désarroi dans son regard J'ai droit à une tasse de thé sale, je mange les trois noix données par mon hôte et me roule une cigarette. Les yeux baissés vers le feu, elle me regarde à la dérobée.

Je reprends le chemin. À droite sur le flanc de la montagne, j`aperçois un ermitage. Mais le chemin se divise et je choisis de me diriger vers le fond de la vallée et le glacier où l`on m a parlé d`une cascade. Je m`essouffle dans la montée d'une deuxième moraine. Le ciel s`est assombri.

Les berbéris sur le bord du chemin sont rabougris et sur le sommet un petit-bois de saule est couche sous l'effet d'un vent glacial, haleine rauque, descendant de la montagne. La progression se fait maintenant sous les banderoles de prières accrochées à ces arbres rabougris qui flottent à moitié déchirées décolorées et lugubres.

Je m'arrête de plus en plus souvent, oppressé — je me trouve à environ 4500m. La montagne se dresse sur près de 2500m d'un seul aplomb au-dessus de moi. Masse inviolée, colossale, gigantesque, disproportionnée, au-delà de toute échelle humaine.

J'arrive au sommet de la moraine, et je contemple le glacier en contrebas, sale, à moitié fondu. Il est facile de lire la rapidité des reculs successifs des glaces, tels des cernes sur une coupe d'arbre. La dernière représente environ 50m et le glacier maintenant se réfugie sur un méplat de la montagne, à environ 1000m au-dessus, duquel s'écoule un filet d'eau : la cascade vantée par mon aubergiste tibétain.

Mais ce qui m'impressionne, c'est cet ensemble, grandiose et immense, terrifiant et sinistre. Un souffle habite ce lieu ; et si ma présence est insignifiante, je la ressens comme importune à cette présence.

Solitude de ma fragile chaleur humaine au sein de cet absolu cosmique. Une barre de chocolat avalée, je redescends et à l'embranchement vers l'ermitage, je me dirige vers celui-ci. Une grotte, fermée par un mur avec une porte ouverte, je m`y présente et contemple un bouddha de taille humaine, en méditation, qui me scrute. Mes yeux s'habituent à l'obscurité…

Un mouvement dans le fond obscur, un bonze en méditation.... Je tressaille, me reprends, fait les offrandes et prosternations rituelles, puis sur l`injonction de la main du moine, contourne la statue, me faufile à quatre pattes derrière et me relevant après un dernier salut, je sors et m'assieds sur le perron. Un novice me tend un bol de thé.

L'ermitage devait être au niveau du fleuve de glace, avant que ne fonde le glacier . La lumière de la réverbération est maintenant remplacée par le grisâtre des moraines, comme des laisses de basse mer. Méditation sur l'immobilité du cours de la vie.

Je redescends dans la vallée, passe devant la cabane où la femme est toujours là, prostrée. La forêt se rapproche, mon pas se délie, je trotte vite, et chantonne et peu après je me laisse submerger par une vraie émotion de joie légère et enivrante.

La foret m`accueille, les oiseaux se remettent à chanter, le ruisseau les accompagne et soulagé, je me sens échappé d un péril lourd et invisible.

De retour dans la ferme, il me faudra découper un porcelet avec un coutelas ancestral, et le faire cuire au barbecue à la demande générale de mes hôtes qui ne connaissent pas ce mode de cuisson. La cuisiniére habituelle a vite compris la manœuvre et m'apporte un bol d'huile de piment pour mettre du corps à tout çà. Je serai récompensé par de copieuses rasades de vin et c'est dans l'ivresse que mon sommeil sera bercé.

Au retour vers Lijyang, la forêt a pris ses couleurs d'automne, le jaune des mélèzes, les sorbiers flamboyants... 11 heures de bus brinquebalant, avec un arrêt pour resserrer l embrayage et faire de l'eau assez fréquemment (il y a derrière le siége du conducteur une citerne d'eau départ de 4 tuyaux qui vont refroidir en direct les tambours de freins très sollicités puisque les conducteurs ne semblent pas utiliser le frein moteur et préfèrent donc dévaler les cols le pied sur le frein).

Voilà, demain je pars à Dali vers le sud, arrêt à Kumming pour prendre mon visa Lao et après un détour a Yuanyuang pour voir les rizières en montagne, la descente du Mékong en bateau vers Luan-Prabang.

Merci a ceux qui m'ont lu jusqu'à maintenant,

Ambracao

JF